JE ME SOUVIENS...

"Les enfants de Caillebotte"

Je me souviens de l’escalier sombre et raide qui menait à la chambre de ma grand-mère et à la fraîcheur humide du mur que caressait ma main quand je le gravissais.

Je me souviens du regard bleu transparent de mon grand-père ; j’avais peur d’être hypnotisée si je le regardais trop longtemps.

Je me souviens du douloureux délice quand le soir je détachais mes cheveux, comme si mon crâne crépitait de liberté. Je savourais l’instant, les yeux fermés, avant passer le coup de brosse qui allait tout arrêter.

Je me souviens du préau résonnant de nos cris, un jour de pluie et de l’odeur de chien mouillé qui flottait dans l’air électrique.

Je me souviens de ma jolie robe en dentelle blanche, ma robe du dimanche, qui inaugurait le printemps, le jour de Pâques ; je me sentais si belle que j’oubliais l’air frisquet sur mes mollets nus.

Je me souviens de la tarte aux pommes du dimanche, son odeur sucrée qui s’échappait du four, et le bonheur, au dessert, de sentir la pâte sablée s’effriter dans ma bouche.

Je me souviens des petits papillons bleus voletant sur l’herbe jaune de l’été avec juste le bourdonnement d’invisibles insectes grésillant sous la canicule blanche de juillet.

Je me souviens de l’eau fraîche qui glougloute, allègre, dans la rigole et mes pieds d’enfant pataugeant sur des éclats de rire, auprès des pieds de mon petit frère.

Je me souviens du cabanon d’été où les voix assourdies de mon père et ma mère traversaient mes jeux d’enfant de leur rassurante présence.

Je me souviens de la rentrée des classes, du parfum de cuir neuf de mon nouveau cartable, du trac à l’appel de mon nom.

Je me souviens d’un premier baiser, volé dans la cour du collège, et mon cœur affolé, et l’interro ratée.

Je me souviens du vent dans les cheveux, du vent de liberté tout rempli d’allégresse de mes premières escapades en vélomoteur.

Je me souviens de la douce somnolence, du rêve en errance, sur un banc du lycée ; la classe bourdonnait doucement, un vague professeur parlait, mon petit ami m’attendait au portail. La vie regorgeait de promesses.

Je me souviens de bribes, de la musique des voix, des paroles enfuies, d’odeurs ténues et fragiles, de personnes n’existant que dans ma mémoire, disséminées dans mon cœur et mon âme, à toutes les étapes de ma vie, qui m’ont construite, qui m’étayent et que je remercie...

Comments

[Marcel]

très beau; émouvant. Merci Mado.

[Mado]

Merci de passer par là, Marcel...