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29 May

COURSE-POURSUITE

Publié par Mado  - Catégories :  #Atelier, #Mado

COURSE-POURSUITE

Il était une fois une jeune fille un peu naïve et très influençable. Là où elle vit, quelques puissants, désireux de s’enrichir davantage, ont ensemencé la société d’injonctions poussant la population à consommer les produits de leurs usines. Les publicités rabâchent sans relâche. Il faut toujours être belle, jeune, performante, il faut lutter contre les marques de l’âge, effacer les rides. Pour être séduisante ou séduisant – les hommes sont aussi concernés – il faut rester jeune. Peu à peu, les valeurs éthiques et morales sont remplacées par l’apparence, la jeunesse et la beauté deviennent la priorité, tant pis pour les vieux et les moches !

 

La jeune fille a la chance d’être jolie. Mais la publicité lui explique que ça n’est pas suffisant, qu’il faut être encore plus mince, avoir la peau encore plus douce, les lèvres plus épaisses, les sourcils plus fins, s’épiler les jambes, s’épiler les bras, s’épiler le sexe. Ou bien tout l’inverse, selon la mode du moment. Bref ! Il ne faut surtout pas rester ce qu’elle est, mais se transformer en ce que d’autres ont décidé si elle veut être considérée et faire partie du monde.

Obéissant aux divers bourrages de crâne, focalisée sur son corps, chavirée de complexes qui n’ont pas lieu d’être, elle use et abuse des crèmes, cosmétiques et régimes en tout genre. Elle mène une vie ascétique, pesant ses repas pour ne pas dépasser le nombre de calories autorisées par un soi-disant coach, transpire dans les salles de sport pour sculpter son corps, subit les épilations, trouvant sa récompense dans son miroir, dans un compliment sur sa beauté, dans le regard envieux des copines. Son apparence est devenue sa raison de vivre, son narcissisme, exacerbé. Polarisée sur ses performances esthétiques, elle en oublie la beauté du monde, la légèreté de la vie, la contemplation des choses. Elle passe sa vie à anticiper le futur, à courir pour vaincre le temps, toujours insatisfaite de ne pas être encore plus belle, plus jeune et le présent s’annihile sans qu’elle en prenne conscience.

 

Insidieux, le temps avance. Les rides se creusent, les graisses s’installent. Viennent alors les injections de botox, la chirurgie esthétique, les gélules miracles et autre poudre de perlimpinpin. Et toujours l’angoisse tapie au fond d’elle-même dans cette course perdue d’avance, la souffrance de devenir cette vieille femme cachée sous les fards, d’avoir perdu son pouvoir de séduction qui lui donnait l’illusion d’avoir juste du pouvoir.

 

Illusion, tout sa vie n’a été qu’illusion. La vieillesse approche avec la mort au bout.

Peut-être est-ce la peur de mourir qui l’incite à vouloir rester jeune ? Comme si la mort n’osait pas s’approcher de la jeunesse ! Ou bien la quête de l’amour… qu’elle n’a jamais trouvé, toute occupée à se faire trop belle pour un hypothétique prince charmant…

 

Aujourd’hui, elle est seule devant son miroir. Une vieille femme liftée la regarde. Un ridicule épouvantail… Elle a les traits tirés, à tous les sens du terme, et de l’amertume au cœur. Elle se sent trahie. Toutes ces belles promesses de jeunesse éternelle, où sont-elles parties ? Délayées dans les pots de crèmes inutiles, anti-rides uniquement pour celles qui n’en ont pas encore ?

 

Gâchis… Course-poursuite imbécile. Comment a-t-elle pu être aussi stupide… ? La vie est derrière elle à présent. Les instants précieux qu’elle n’a pas su saisir défilent dans sa mémoire. Le narcissisme a tout englouti, il ne lui reste rien. L’image de sa mère affleure. Sa jolie maman à la peau parcheminée, au regard serein, qui lui disait :

 

Arrête de te faire du souci pour rien. Tu es belle ! Le visage que tu as aujourd’hui, tu le regretteras dans 10 ans. Cesse de te regarder sous toutes les coutures et vis. Profite de ta jeunesse au lieu d’avoir peur de la perdre. Tu vois, mes rides, moi, je les aime, elles sont mon histoire, les traces que m’a laissé la vie. Alors, quand les annonceurs essayent de me convaincre que j’ai tort de ne pas me barbouiller de leurs produits-miracles et qu’ils tentent, en plus, de me culpabiliser, j’ai juste envie de leur répondre : mes rides, c’est ma vie, laissez-les moi !

 

La vieille dame laisse échapper une larme qui fuit, véloce comme la jeunesse, sur la peau tendue de son visage. Aucun sillon, aucune ride pour la retenir un instant, juste un tout petit instant...

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